Fleuve Gelé 309

Sur les traces d’Olivier Fölmi

Fleuve Gelé 003

Le Zanskar, royaume millénaire fondé en 930, se situe dans la plus haute vallée peuplée de l’Himalaya, traversé par un fleuve du même nom. Le  » Fleuve Zanskar »  trouve son origine dans la confluence de deux rivières : le Tsarap (4650m) et le Doda (4400m) et vient se jeter dans l’Indus entre Leh et Nimu. Dans cette contrée aride, à plus de 4000 mètres d’altitude,  une des plus froides de l’Himalaya , vit un peuple de moines et de paysans, dans le respect des antiques traditions tibétaines. Isolés du monde durant l’interminable saison froide par la neige qui bloque les cols, une seule voie est alors possible pour rejoindre le Ladakh voisin : emprunter le fleuve  gelé appelé CHADDAR en hiver et marcher 150 km durant, non sans risques, sur la glace incertaine. Une traversée de 8, 10 ou 20 jours selon les difficultés rencontrées qu’elles soient météorologiques ou liées à la qualité de la glace. Certains passages peuvent au moindre faux pas, devenir mortels, l’eau vive  coulant entre les glaces brisées est trop froide pour y nager. Quand la glace cède, ou quand le fleuve à certains endroits n’est que partiellement gelé, les voyageurs n’ont d’autres issues que de contourner l’obstacle par l’escalade d’une falaise glissante. Au vu du contexte et des conditions climatiques, une température entre -15 et -30 °aucune chute ne pardonne et  serait fatale.

Allez je ne vous en dit pas plus, et vous invite à me suivre jours après jours …

 Vendredi 25 janvier                                                    

Fleuve Gelé 004
Fin prête pour le grand départ

Vienne ( Autriche), 8h20. Première prise de contact entre la plume et mon cher petit cahier, futur compagnon de voyage. Nous voilà tous les six pour une escale de 3h avant de poursuivre cette grande aventure disons plutôt expédition, car cela en est une. Le coup de blues d’avant départ n’est plus qu’un mauvais souvenir. Finies les craintes, je suis enfin dedans, je me sens bien. Tout ce mois de doutes semble si loin, mon esprit est prêt à accepter l’inconnu et ses éventuels dangers. Les séances de sophrologie de mon amie Constance, à cette intention vont m’être profitables, le challenge est de taille.

Et oui ! La préparation psychologique, la positive attitude fait partie du voyage !  230 Km  sur glace vive, il y a de quoi ! Ce voyage représente tellement pour moi, je me dois de le vivre intensément, l’aboutissement d’un chemin personnel.

Petit retour en arrière, Aéroport  » Lyon  Saint-Exupéry » (France). Je viens de faire connaissance avec les deux derniers hommes manquants de notre petit groupe. L’idée de vivre 3 semaines seule avec ces 5 hommes me fait drôle, si je compte l’ensemble du staff, je passe à 28. Une première expérience à mettre à mon actif. Nous allons partager des émotions que nous serons seuls à connaître, 3 semaines de souvenirs communs  sur l’échelle de notre vie, au même tire que ceux du Kilimandjaro vécus avec d’autres. A chaque voyage son histoire.

Je vais présenter, notre petite équipe. En tout premier, François V, l’initiateur de ce projet, glaciologue et ami. A notre crédit, déjà deux voyages (l’Inde et le Tibet). Nous avons beaucoup d’affinités, je l’apprécie. Je pense que la réciproque est vraie. Ensuite Claude C, ex-chercheur au centre de Glaciologie de Grenoble, premier contact. il semble calme, réservé, la cohabitation devait être facile. Passons ensuite au second François, François L, une ancienne connaissance (le Garwal en commun), solitaire sympathique pas très bavard. Pour finir nos deux Aixois, Yves P, alpiniste, physicien et son jeune collaborateur Joan, polytechnicien. Deux sympathiques bavards, à eux seuls ils vont mettre de l’animation. Voilà l’équipe au complet, prête à veiller sur la faible femme au cas où ! Mais François V à confiance en moi, alors pas de soucis !

Je reprends mon cher petit cahier en plein vol, il nous reste 3h40 pour Delhi. Nous survolons actuellement la région de Téhéran, le soleil commence à se coucher à l’horizon, magnifique ! Pour la troisième fois je vais poser le pied sur cette terre Indienne de nuit. Une émotion toujours intacte.Ce pays me fascine toujours autant, je crois que je vais à jamais renoncer à essayer de comprendre pourquoi. Je l’aime, c’est tout !

J’ignore ce que seront les conditions climatiques exactes la-bas, tout ce que j’espère c’est que je pourrais toujours remplir mon petit cahier. Je sais que certains l’attendent. Dans ma solitude glaciale, cela me soulagera de lui confier mes émotions, et sait-on jamais, peut-être mes angoisses. Actuellement, nous savons qu’à Leh (capitale du Ladakh) où Raju notre guide indien nous attend, la température avoisine les -17°C avec 15cm de neige. Il semble satisfait de l’état du fleuve. Sur les six protagonistes de l’histoire je crois que je suis la seule, à ne pas avoir vu de reportages sur cette descente du Chaddar, juste quelques photos. Je crois qu’il en est mieux ainsi, pas de stress inutile (enfin pas trop !). J’aurai de ce fait tout à vivre sur place. L’inquiétude, je l’ai plus ressenti parmi mes amis qu’au fond de moi. En ce qui me concerne c’est OK, je suis fin prête dans la tête.

Je reprends mes écrits, il est 5h du matin (heure locale) et toujours la même journée enfin non ! Nous sommes passés au 26 mais bon je n’ai plus les idées très claires. Je n’ai pas dormi une minute depuis les 3h de mat (heure française) du 24 janvier, dur, dur ! Alors petit cahier accepte mes excuses pour mon esprit quelque peu embrouillé concernant les heures et les dates.  Pour l’instant je tiens encore debout, c’est le principal.

Bon récapitulons, arrivée Delhi à11h du soir, heure indienne. Là, surprise personne pour nous attendre, du moins c’est ce que nous avons cru. Méprise sur le lieu de rendez-vous. Bilan 1h30 d’attente inutile, cela commence bien. Arrivés 2h à l’hôtel pour un réveil prévu à 3h15, le choc ! si l’on soustrait, le remplissage des fiches, la remise des clefs, la récupération des bagages par chambre. Bilan 1h de sommeil à gérer au mieux…

Contrairement à mes espérances silencieuses, la cohabitation nocturne avec un de mes compagnons semble et sera de mise pour la poursuite de notre aventure. Après élimination des ronfleurs potentiels, il ne me reste plus que François L et Joan. Mais bon il fallait s’y attendre !

Ce sera donc François L.

Nous avons eu droit au thé pour le réveil, disons ce que j’ai pris pour du thé corsé était en fait du café, vraiment à côté de mes pompes. Récupérer ce manque de sommeil ne sera pas être une mince affaire. L’aventure commence et moi j’arrête d’écrire.

               

Samedi 26 Janvier                       

Fleuve Gelé 019Reprenons, 5h du matin, armes et bagages, aéroport de Delhi, destination Leh, plus vraiment les yeux en face des trous. Je ne sais plus trop où j’en suis. Un peu perdue dans cette journée sans fin, mes neurones s’affolent, les yeux rivés sur le tableau des départs. Le vol prévu de 7h30 destination Leh donc « le notre » vient de passer en « Security » avec une heure de retard, flûte ! Assise à même le sol, la tête sur le sac à dos, j’essaie de voler quelques minutes de sommeil au jour. Mission impossible. Il y a un bruit d’enfer du aux annonces répétitives et à la vie ambiante. Les zones d’attentes des vols intérieurs indiens sont des vraies fourmilières, agitations incessantes sommes toutes organisées aux dires des autorités compétentes mais incompréhensibles à nos yeux. Ma tête est grosse comme une pastèque.

Cette fois c’est la « Cata », le vol passe en « Canceled », annulé pour raison d’intempéries sur Leh. Une tempête de neige rendant l’atterrissage impossible.

Une nuit sans sommeil pour rien !

Nous essayons de ravaler notre déception. Notre contact sur Delhi doit venir nous récupérer, la journée sera à l’improvisation. Ce sera donc, actualité oblige, le défilé national, aujourd’hui journée de l’Indépendance Indienne. En invité d’honneur, devinez ? Notre président Sarkozy.

Fleuve Gelé 014
Fête nationale

Et oui ! On a pas rêvé, il nous poursuit.

17h, retour à l’hôtel. Que cette journée fut dure, plus de quarante huit heures sans dormir, une première, une horreur… 18h à la montre, des nausées de fatigue m’assiègent. Je tire ma révérence, tant pis pour la « bienséance » je saute le repas, je crois que je vais me laisser aller, advienne que pourra !

Flûte ! Delhi ne semble avoir aucune pitié pour les pauvres voyageurs en mal de sommeil que nous sommes. Des tambours dans la rue, sans doute une fête. Mais au point où j’en suis, un tremblement de terre arriverait tout juste à me sortir de la douce léthargie qui me gagne ! Demain, RE…lever 4h du mat pour une deuxième tentative sur Leh. Cette rivière gelée semble vouloir nous résister. Allez je craque, je lâche tout…

  Dimanche 27 Janvier 

Fleuve Gelé 039
Survol de la chaîne Himalayenne

 Ma nuit fut bizarre, endormie à 18h, réveillée 22h30 sans doute trop fatiguée. J’ai du prendre quelque chose pour me rendormir, me forcer à dormir pour récupérer. Lever  4h, départ 4h30, cette fois on y croit. Aux nouvelles, ciel dégagé sur Leh, avec la neige d’hier ce sera chouette. J’espère que la hausse des températures n’aura pas d’incidence sur le fleuve enfin on verra. Histoire de pimenter encore un peu plus ce départ, le minibus crève sur le chemin de l’aéroport. Nous voilà de nuit sur le bord de la route attendant un bus de rechange car bien entendu, pas de roue de secours. N’oublions pas que nous sommes en Inde. La vie indienne a l’art de vous rendre zen ! Nous nous adaptons avec bonne humeur. Pour quand le prochain contretemps ?

Bon, nous voila de nouveau à subir les multiples contrôles rigoureux de l’aéroport, les queues interminables, les fouilles aux corps, en gros le parcourt du combattant pour parvenir enfin jusqu’à l’avion ! Miracle on y est …

Actuellement, nous survolons l’Himalaya tout de blanc vêtu un ciel bleu sur ce paysage grandiose, un spectacle à vous couper le souffle, c’est tellement beau que cela semble irréel. Cette immensité, ces montagnes à perte de vue. Le majestueux Everest si haut, si petit à l’horizon. Le soleil et ses jeux d’ombre et de lumière sur ces sommets mythiques. J’ai pris des photos, encore des photos pour immortaliser le survol de ce décor de rêve, grâce à l’appareil que Gérald m’a offert dans cette intention pour Noël. J’espère qu’elles seront magnifiques.

L’avion est presque vide, juste une expé anglaise, ainsi qu’une petite équipe de français (quatre en tout). Une tête à chaque hublot ! Je reste les yeux rivés à cette petite fenêtre, sans pouvoir m’en détacher pour m’imprégner de cette beauté qu’il est difficile d’imaginer tant qu’on ne l’a pas vu de ses propres yeux. Je suis heureuse. Par moment, on aimerait que certaines minutes ne s’arrêtent pas, que le temps l’espace d’un instant se fige. J’ai de plus en plus hâte de mettre le pied sur cette rivière gelée.

Nous amorçons la descente sur Leh après 1h30 de vol. La charmante voix de l’hôtesse nous annonce une température de -25°C avec du vent sous un soleil radieux. Waouh ! Rien à voir avec les -17°C de Raju. Le premier contact avec cette terre Laddaki restera un moment inoubliable. Raju est là pour nous accueillir, la température est encore plus intense que prévue. Le thermomètre ne s’arrête t-il donc jamais de descendre dans cette région ? -27°C au final. La première respiration est dure, tout brûle du nez à la gorge, violente la transition ! Le -30°C devrait être pour cette nuit. Apres les dix premières minutes d’asphyxie, on refait surface et le froid semble supportable, j’ai bien dis semble…

Ça y est le stylo renonce, il n’est plus d’accord avec le climat.

Fleuve Gelé 053
Chapati et thé au lait

Verdict : Encre gelé ! Je passe donc au crayon papier (je l’avais prévu). Donc revenons à Leh, une ville plus conséquente que je ne l’imaginais située à 3500m d’altitude. Nous sommes en hiver et de nombreuses  échoppes sont fermées, dommage. Nous passerons la nuit dans un guesthouse vraiment sympa, accueillis par la traditionnelle écharpe de bienvenue bouddhiste de couleur blanche ou crème appelée ‘Kata’. Les propriétaires sont adorables Nous sommes reçus comme des princes,cela ne m’étonne pas de Raju. Avant le repas de midi, petite ballade sur les hauteurs de Leh avec Joan, au monastère de Tzemo 3700m. Vue magnifique sur la ville. Maintenant, repas au soleil. On peut y croire ! Avec moufles et doudoune cela va sans dire.

Lundi 28 Janvier

Fleuve Gelé 057
Mosaïque de givre

La nuit fut courte mais correcte après quelques angoisses. J’ai du puiser dans mes ondes positives cela commence bien. Sans doute l’effet de l’altitude liée au froid intense, toute la journée d’hier fut parsemé de petits trous de mémoire. Toujours à la course de mes affaires essaimées de part et d’autre, impossible de me concentrer. Mes neurones étaient de toute évidence en phase d’acclimatation eux aussi et ne trouvaient plus le sens de la marche.

Quelle panique ! J’avais perdu mon petit cahier sans pouvoir le localiser ainsi que ma trousse du Kenya, son indissociable compagne. Heureusement les cinq autres têtes étaient là pour moi. Ouf ! Sauvée grâce à Joan. Le cahier négligemment oublié sur une chaise à l’extérieur. Mille pardon petit cahier, c’est la faute de mes neurones.
Donc en attendant les ‘Chapatis’ du petit déjeuner, je me rattrape…en dépit des doigts engourdis. Au coucher dans la chambre, température 0°C, ça caille, les vitres, décorées par de belles arabesques de givre, superbe ! L’opération toilette de milieu de nuit s’est avéré dangereuse. Glissades … l’interaction entre carrelage et chaleur humaine s’étant matérialisée par une pellicule de glace invisible mais on ne peut plus efficace. Au lever -4°C ( pas de chauffage). Ce matin, cela va mieux, j’ai retrouvé mes esprits. Quelle drôle de sensation, j’ai eu l’impression de flotter, le corps dissocié de l’esprit, en décalage. Bon aujourd’hui tout semble en phase, tant mieux !
Je suis contente, cette nuit, contrairement à François L et Joan, je n’ai pas été gêné par des maux de tête, c’est déjà ça . Chacun son style pour s’adapter !
Au fait les jeux sont faits, je crois que la cohabitation définitive se fera avec François L.

Aujourd’hui journée d’acclimatation obligatoire, le jour perdu au départ sera rattrapé sur le parcours par de 2h de marche supplémentaires par jour. Ce matin visite d’un grand monastère et quartier libre l’après midi que j’ai mis à profit pour me promener seule au travers des petites ruelles de Leh. Je parlais du pays des glaces, on n’en est pas loin, ici tout gèle. Se déplacer au hasard des ruelles relève de l’exploit. Il faut apprendre à mettre les pieds où il faut, sinon glissades assurées. Un vieil homme, me voyant les yeux tournés vers les hauteurs, s’est proposé (du moins c’est ce que j’ai compris), de m’indiquer le chemin jusqu’au fortification surplombant la ville. Alors, je l’ai suivi . Heureusement car à la nuit tombée, je crois que j’étais toujours là perdue dans les ruelles glissantes du vieux Leh
J’ai réussi à avoir Gérald au téléphone, je suis contente.
Demain nous quittons notre guesthouse, direction Shiling et premier contact avec la rivière gelée. Aussi première nuit en tente sur glace. Le -4°CFleuve Gelé 145 de cette nuit nous semblera une vraie douceur. Ce soir, vérification et choix du matériel (nous pouvons en laisser ici), car maintenant on va passer aux choses sérieuses, fini la rigolade. Nous n’allons pas tarder à nous coucher, toujours 0°C, le plus dur est d’enlever une couche pour se glisser dans le duvet. Juste un mauvais moment à passer !

 

 

 Mardi 29 Janvier

Fleuve Gelé 160
Camp de base

Assise autour d’un poêle, dans un abri rudimentaire au bord du Chaddar, « l’hôtel Zanskar », je prends mon cahier pour lui confier nos misères une fois de plus. Nous cumulons, à croire que cette rivière gelée ne veut pas de nous. Nous sommes exactement au point de départ de notre expédition, les pieds impatients de s’engager sur les rives, sauf que nous sommes seuls sans porteurs. Partis l’équipe au complet de Leh dans trois minibus, seuls  deux sont arrivés à destination. 4h d’attente et toujours sans nouvelles de nos porteurs, la poisse !

Enfin Raju, un peu inquiet nous fait part de la situation. Le véhicule des porteurs est en panne à 14Km du camp, essieu cassé. Ils attendent un véhicule de remplacement, « out complet ». De toute évidence, nous allons passer la nuit ici. Notre patience est mise à rude épreuve, on arriverait presque à en rire si cela ne compromettait pas la réussite de notre descente. Côté patience je suis zen, de toute manière je n’ai pas le choix. Le soleil est tombé ou plutôt masqué par les montagnes. Le froid est de plus en plus intense, la proximité du fleuve apportant une  humidité supplémentaire. Même près du poêle, je sens les degrés sous zéro gagner mes pieds, les mains cela va encore. Je garde les gants polaires pour écrire. Je crois que pour les prochains jours à venir l’écriture ne sera pas évidente même si la volonté y est.

Revenons à l’histoire de nos porteurs, le plus dur pour nous est de voir partir sous nos yeux les deux autres expés (ceux de l’avion), mais bon ! J’espère que cette série noire touche à sa fin car à force de perdre un jour tous les deux jours, il va falloir galoper, sur glace vive cela risque d’être sportif…

Claude vient de me rejoindre, cela va mieux. Je me sentais un peu seule au milieu des locaux tous serrés les uns auprès des autres autour de ce poêle (tout ce qu’il y a de plus local) dans l’espoir d’un peu de chaleur. L’inaction est la pire des choses contre le froid, il va falloir que je me bouge, quand il vous prend, il vous garde prisonnier un long moment. Mais n’y pensons plus, parlons plutôt de ce fleuve qui à la particularité de changer de nom, original ! L’été, libre et tumultueux, on le connaît sous le nom de Zanskar, l’hiver prit par les glaces on l’appelle le Chaddar. La première partie de sa rencontre avec l’Indus, jusqu’a Shiling, où nous sommes actuellement, il n’est plus utilisé comme moyen de communication fluviale, va-t-on dire. La civilisation étant passé par là. Une route enfin une piste améliorée, le surplombe ayant pour terminus notre camp de base. Nous avons pu de ce fait l’observer à volonté, une vraie beauté, Je crois qu’il va falloir s’attendre à des difficultés, il est loin d’être gelé mais c’est ce qui en fait toute sa beauté. Les difficultés nous les affronterons le moment venu.

Bon, je sors une minute histoire de prendre l’air et de prendre une photo. Saisissant ! La chaleur humaine avait du bon ! Je rentre, me voilà de nouveau entrain de me frotter les mains en attendant que l’on monte nos tentes. Et oui ! Nos porteurs sont enfin arrivés ! L’après midi est bien avancée…

Par moment le vent aidant, le froid est si dense que nos neurones ont du mal à se tourner vers l’extérieur, malheureusement on ne pense plus qu’égoïstement à sa petite personne. Je pense que l’organisme va passer par une phase d’adaptation au froid d’un jour ou deux, nous avoisinons les -15°C.

Avec Claude nous sommes seuls à être  restés au camp, les autres sont partis en reconnaissance sur les rives du Chaddar. Cela me fait du bien de parler à mon petit cahier, cette fois plus confident et ami que reporter touristique.

Allez je le referme pour faire aussi un petit tour avant le repas du soir car à la longue je sens le froid m’engourdir alors autant bouger.

Je m’engage seule sur la piste surplombant le fleuve. Vu de haut, il est grandiose, majestueux. Si impressionnant soit-il, il ne me fait pas peur. Je suis là, le dominant. Je l’observe, nous faisons connaissance, je l’apprivoise. Ce que j’écris peut paraître étrange mais ce lien que je tisse avec le Chaddar ce premier jour est pour moi très important. J’ai besoin de m’en faire un ami pour m’engager en toute confiance dans son lit sans appréhender les éventuelles difficultés à venir.

Tout au long de cette promenade solitaire, pleine de réflexions, seul l’envol des perdrix des neiges brise le silence. Chose étonnante, elles n’ont pas encore pris leur parure blanche d’hiver contrairement à nos régions et n’ont pas encore droit au nom de « lagopède ».

Fleuve Gelé 173
Premier contact avec le Chaddar

Je croise quelques hommes, rassurant, ils ont l’air aussi frigorifiés que moi, rentrant après leur journée de travail, la prolongation de cette piste, la future route reliant Leh à Padum. Encore des années de travail, vu les conditions hostiles. Quand ce projet touchera à sa fin, s’en sera alors fini du côté magique du Chaddar. Je ferai partie de ces quelques fous qui auront eu la chance d’utiliser cette voie de communication dans son authenticité. Tout cela fera partie dans quelques années de l’histoire du Ladakh. Le soleil baisse, il me faut faire demi-tour . Mes compagnons vont peut-être commencer à se faire du souci…

Mercredi 30 janvier

12h30, pause repas au bord du fleuve. J’en profite pour coucher quelques mots sur mon cahier, toujours à porté de main. Quel début de journée !

Fleuve Gelé 171aMa nuit fut agitée, troublée de rêves et de cauchemars, sans doute l’effet de l’altitude, rien d’exceptionnel pour les personnes aux rêves faciles mais trop c’est trop. Épuisant ! Ensuite l’épreuve reine, sortir du duvet pour la pause pipi nocturne ! Le froid ayant la faculté de stimuler notre système d’évacuation. Juste le temps de lever les yeux ! Ciel couvert.  Au coucher, panique le cœur s’est mis à cogner, un quart d’heure d’angoisse ! Au lever, surprise, la neige avait recouvert nos tentes d’une fine couche, superbe !

Fleuve Gelé 183
Fine pellicule de neige

Ça y est nous voila partis sur les rives du Chaddar. Mon dieu que c’est magnifique. Quelle étrange sensation d’être si prés de ce fleuve, par moment si calme, à d’autres si agité. La glace recouverte de cette fine pellicule de poudre blanche, à la fois rassurante et traître, nécessite une concentration de tous les instants pour éviter la chute. Je regarde notre guide Tenzin évoluer  sur le fleuve, il utilise un bâton pour tester la glace et choisir la meilleure trajectoire. Il est dans son élément cela se voit. Originaire de Padum (capitale du Zanskar, notre objectif) ainsi que l’équipe de porteur, ils semblent tellement à l’aise. Pour nous c’est le premier contact, la recherche d’équilibre. J’observe la technique de Tenzin , jambes légèrement pliées, buste droit pour la stabilité, à laquelle j’associe mes années de patinage. Cela devrait le faire. Je suis confiante, j’apprendrai à connaître cette glace. Elle m’attendra.

 

Fleuve Gelé 219
Passage délicat…

Après une heure de marche tranquille, nous voilà confronté à notre première difficulté de taille. Le fleuve ne nous laisse aucune possibilité de progression sur glace, seule solution, le passage en corde tendue, pieds plaquées sur la roche au dessus de l’eau. Moment un peu chaud. Tous regroupés, nous attendons chacun notre tour, dans le froid. Pour les porteurs le passage sera d’autant plus difficile, le poids de leur charge les entraînant vers le fleuve. N’oublions pas qu’un bouillon à des températures de -15°C,-18°C, on à du mal à s’en remettre, hypothermie assurée, oups j’en passe des meilleures. L’aventure avec un grand A commence. Première  confrontation avec la question fatale: pourquoi suis ici ? L’attente et l’agitation dans l’équipe de porteurs ne faisant qu’amplifier le stress de la situation. Constance se rappela à moi. Le lâcher-prise !

J’avoue avoir puisé dans mon énergie pour me lancer mon tour venu, secondée par Raju (guide et alpiniste Indien) en qui j’ai une grande confiance et encouragée par Yves (alpiniste français). Le rêve ! Je suis assez fière de cette première épreuve en attendant les suivantes ! Car il y en aura sûrement d’autres. A ma grande surprise je dirais que j’ai même été assez à l’aise, je crois que j’ai grandi d’un centimètre…

D’ 1m60, j’en suis à 1m61.

300m plus loin, un autre petit passage délicat d’un autre genre. Le bord du fleuve ayant dégelé sur 20cm, à première vue pas d’autre solution que les pieds dans l’eau gelée. Dans nos régions pas de souci, ici dramatique, car les chaussures mouillées font entrevoir avec le froid des engelures si l’étanchéité n’est pas au top. Un jeune porteur, me propose de me prendre sur son dos, j’accepte. Des pierres sont disposées pour faciliter le passage. Certains porteurs préfèrent enlever leurs chaussures pour les garder au sec. Les voir ainsi les pieds nus dans l’eau gelée, réveille en nous un petit sentiment de culpabilité. Leurs extrémités sont rouges violacés par le froid.

Je reprends le crayon, il est six heures, je suis au chaud dans mon duvet pour te relater cher petit cahier les péripéties de l’après midi. Au point repas, nous avons rejoint l’équipe Anglaise partie la veille. Quand nous décidons de lever le camp, côté anglais un de leur guide nous conseille de poser le camp de nuit sur place car à 1 km en amont, il n’y à plus de passage. 60cm d’eau avant que le pied ne rencontre la glace. Le blanc dans notre groupe, flûte encore une tuile ! Attendre un jour de plus et pour nous, fini l’espoir d’arriver à Padum. Après discussion, nos hommes décident d’aller voir de plus prés. Moi je suis, je n’ai pas le choix. Bien nous en a pris, on a pu éviter la zone en passant par une vire enneigée. Pour le vertige, OK c’est bon. A ce régime là, je crois que je vais devenir une géante. Mais ouf, c’est passé.

Fin mot de l’histoire, cette « info » avait pour but (papotage de porteurs) de laisser partir les anglais devant afin qu’ils puissent occuper les meilleures places du prochain camp à leurs aises. Celui-ci étant juste pour deux expés. Dégueulasse, je m’excuse mais cela fait du bien ! Ce genre d’attitude surtout dans un environnement où l’on devrait plutôt se serrer les coudes est assez surprenant. AH, ces British !

Nous progressons lentement sur cette partie du fleuve, tous ces contretemps Fleuve Gelé 227nécessitant attention donc du temps. Nous avons de nouveau traversé des zones de dégel (pas le choix). Dix centimètre d’eau et l’inconnu dessous. Chaque pas à son importance, la résistance de la glace devant être testée avant chaque déplacement de pied, celle-ci étant inégale sous l’eau. La concentration doit être à son max ! Pas question de fantaisie, aucune envie de changer de trajectoire, on se suit pas à pas, les pieds dans l’eau. A chaque « crac », un pincement au cœur !

Je n’arrive même plus à appréhender. Je crois que c’est gagné. Le décor est si somptueux que l’on oublie les difficultés, cela peut paraître paradoxale mais je les accepte à présent comme un jeu. Cela fait partie du Chaddar ! Je me sens bien.

La plus grande difficulté pour moi, est la période du soir, où le froid parfois pas si intense (-10°C,-15°C) s’immisce en moi. Nous n’avons qu’un petit brûleur dans la tente mess, si les pieds sont mouillés c’est la galère ou le duvet direct.

Etre seule, qui plus est la seule femme est parfois dur, mes compagnons sont tous très agréables avec moi et aux petits soins mais par moment avoir une présence  proche me ferait du bien. Bon, ne laissons pas le blues montrer le bout de son nez !

Ce soir le ciel est magnifique, constellé d’étoiles. Dommage qu’il fasse si froid, je pourrais rester des heures à le regarder, même si mes connaissances astrologiques sont plus que limitées, simplement pour sa beauté, sa pureté annonciatrice de froid. Bonne chose pour le fleuve.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *